Le Grêlon fumant
« Le ravisseur lance son char en avant (…) il franchit les lacs profonds, les étangs des Paliques, qui exhalent une odeur de soufre et s’échappent en bouillonnant de la terre entrouverte… » Ovide ; « Les Métamorphoses » V v.401-9
La jeune fille aux pieds légers courait dans la forêt. Elle la savait peu profonde. Bordée de larges pâturages avec les troupeaux de l’été, vaches grasses et tranquilles d’un temps sans temps. Sur l’herbe et les mousses séchées, le bruit de ses pas. L’effleurement du sol sous un ciel d’un bleu sans tache. Une clairière ouvre l’espace de sa course sur l’infini d’une immense pâture. Elle s’arrête net. Car elle vient de débusquer un lièvre qui court comme un fou à découvert sur le champ, pour disparaître dans un creux invisible à l’œil nu. Elle s’écroule sous un arbre et roule son corps dans l’herbe comme une masse joyeuse, n’essayant pas de le retenir sur la pente qui l’avale à la vitesse de la lumière. Dans l’éclair qui surgit dans ses yeux brillants, une ombre se glisse, brusque et rapide, ombre d’une prémonition funeste ou ombre tout court. Elle ne peut le savoir.
Elle continue de rouler tandis que le ciel s’assombrit. Une douleur violente attaque son épaule. Elle crie tandis que son corps est absorbé par un trou sans fond. Au bord d’une fente entourée de fil de fer barbelé, elle lit sur le panneau de bois avant de tomber : « Le Grêlon fumant ». Elle n’a pas le temps de réfléchir. La Terre s’ouvre sous son poids. Elle tombe tête en avant dans la sombre faille. Dans l’odeur nauséabonde d’une carcasse de vache absorbée par le temps. (CFB-4.11.04)